Métamorphose hasardeuse

Voilà une bonne demie heure que je suis là. Assise en tailleur sur un banc. Face au lac. Mon livre de métamorphoses sur le genou gauche, une tasse de thé sur le droit, je joue nerveusement avec ma baguette. Un dernier coup d'oeil à la consigne et je chuchotte la formule comme un secret en faisant faire à ma baguette un mouvement reproduisant les contours de la rune odala face à ma tasse.
Aussitôt, la tasse se change en serpent à sonette, me regardant d'un air un peu hébété. Je lui sourit, recommence, et là, c'est un aigle miniature qui prend la place du reptile. Troisième tentative, un blaireau. Et enfin, un griffon. Satisfaite, je lui rend sa forme de tasse originale et, refermant le livre, je trempe mes lèvres dans le liquide.
Pouah. Quelle horeur! Ce n'est plus du thé. Et quelque chose me dit que je ne tiens pas à savoir ce que c'est. Jetant un coup d'oeil écoeuré à ma tasse, je la balane dans le lac. Elle me revient presque aussitôt, et je l'évite de peu.
Wow, si même les habitants du lac n'en veulent pas, ca doit vraiment être infecte. Et l'image mentale d'un groupe de sirènes hors d'elles à cause de l'indélicate qui a osé polluer leur lac me fait exploser de rire avant de me confondre en excuses.

Il me semble bien connaître cette forme près du lac. Elle parle toute seule, ou avec les créatures du lac peut-être. Je m'approche doucement, me faufilant comme un serpent, mon nom me va bien. On m'a souvent dit que ma façon de me glisser derrière les gens était ma marque de fabrique. Possible...

-Tu ne devrais pas t'excuser. De toutes façons ils n'écoutent pas les humains.

Je sursaute et un cri de surprise m'échappe. Il faut franchement que j'arrête les eccitants le matin. Thé, café... au delà du litre, ca commence à être nocif. Idiote. Idiote. Idiote. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui sait. Je reconnaitrais sa voix entre mille.

- Snake! Tu m'as fait peur... Je croyais que les créatures du lac avaient organisé une offensive pour se venger...

Je toune la tête vers lui. Ca fait plaisir de le voir.

- Je me dis qu'avec les habitants sous-marins... d'ailleurs on peut parler de sous-marin pou un lac?... bref. Je préfère prendre mes précautions. Histoire que la prochaine fois que je pique une tête, accidentelle ou pas, il ne se souviennent pas de moi comme la mal polie qui a tenté de les empoisonner...

-Je sais, je fais cette impression-là, souvent. Une offensive pour se venger? Ca c'est intéressant! Pourquoi se seraient-ils vengés? Tu les as insultés? Tu les as traité de vieilles têtes de poisson pourries?

Je souris: non, ce n'est sûrement pas ce qu'elle a fait, pas son genre.

-Ah, tu as tenté de les empoissoner! Mais pourquoi? Tu en avais marre de voir leurs tronches de thons? Je te l'accorde, ce n'est pas ce qu'il y a de plus agréable à regarder. Mais ils peuvent être d'une aide plus que providentielle parfois...

Petite pensée émue pour le cours d'Hagrid. Ah, ce cher Hagrid... S'attaquer de front aux serpentards... Tututu, pas sérieux, et surtout, d'une imprudence à peine croyable.

-Qu'est-ce que tu faisais ici au fait?

Elle pourrait me retourner la question, et je n'aurais pas de réponse. Objectivement, j'ai beau chercher, je ne sais pas pourquoi je suis venu ici.

J'explose de rire. "empoissoner". J'adore. Snake a l'air de bonne humeur, et ca ne fait qu'augmenter la mienne. Attention les mecs, je vais être intenable, effusions garde à vous!

- J'ai accenditellement envoyé un breuvage plus qu'infâme dans leurs eaux. J'imagine qu'ils l'ont pris aussi bien qu'une bombabouse balancée dans leurs salon fraichement tapissé...Donc je me rattrape comme je peux. Une aide providentielle, tu dis? Alors je ferais mieux de me tenir à carreaux.

Du bord de l'index, j'essuie une larme de rire qui s'aprète à perler sur ma joue, puis brandis en l'air d'une seule main mon gros manuel de métaphorphoses avant de le laisser retomber par terre. Si je me flingue le poignet et que je rate la saison, j'en connnais un qui va être fumasse.

- Je révise vite fait le programme de métamorphose pour aujourd'hui. Histoire de ne pas passer pour une buse. J'ai essayé de pimenter un peu les choses en essayant un sortilège... euh... flute, je ne retrouve pas le mot. Tu sais, quand tout fonctionne, mais que tu n'ouvres pas la bouche? Bref, ça ne fonctionne pas des masses pour le moment...

Quitte à redoubler, autant essayer de prendre de l'avance... Mais c'est plus qu'une demie-heure entre deux cours dont je vais avoir besoin à ce rythme là. Je dois être trop bavarde pour réussir. Ou trop de truc doivent passer dans ma tête...

- Mais bon, ce n'est pas grave, tant que ça me tient à distance de toute conversation ouù les les mots "match", "Serpentard", "Pouffy", et où tout le champ lexical de la "boucherie" et du "massacre" apparaitrait. Ca devient une obsession, c'est pénible. Je refuse de prendre parti, et plus ça va, plus c'est compliqué de se prendre pour la Suisse. Ils vont me rendre chèvre!

Etre obsédée n'est pas un problème en soi, mais quand les obsessions des autres me gâchent mon plaisir, ca ne va plus.

- Donc j'essaie, avec beaucoup de mal, de travailler un peu... au péril de ma vie, ou de la pureté des eaux du lac, comme tu préfères. Non, sans rire, quand tu transforme plusieurs fois une tasse de thé, n'essaie même pas de la boire, c'est du suicide!

Je souris:

-Aucune chance pour que je boive du thé, de toute manière. Cette chose se boit peut-être pour certains, mais j'avoue que je ne suis pas un grand fan de l'eau chaude arômatisée. Et nul doute que les créatures du lac non plus. Ce sont les sortilèges implicites que tu testes? Je crois qu'on dit comme ça! Je suis un pro dans ce domaine, je peux essayer de t'aider. Bon, même si la métamorphose, ce n'est pas mon fort. Moi, mon truc, ce sont les sortilèges.

Je regarde vers le lac: d'un calme olympien. Je reprends:

-La tension, ça ne me dérange pas vraiment... En fait, j'aime ça plutôt. Mais je t'accorde qu'entendre parler massacre toute la journée, ça gâche un peu le plaisir.

Je m'excuse, sachant par avance qu'elle ne partage pas mon point de vue sur la question:

-Désolé, mais je le pense comme je le dis: j'adore les massacres. Simplement, en parler dix ans avant, c'est lassant à la longue. Et ça désensibilise l'adeversaire...

Je parle en vrai diable, mais je crois qu'Erin est la seule personne, hormis les serpentards, à m'écouter sans partir en courant. Et encore, pas mal de serpentards se sauvent dès qu'ils me voient arriver, ne nous cachons pas les yeux. Pourtant, eux, ils n'ont pas grand chose à craindre. Quelques chicaneries, pas plus. Mais apparemment, ça suffit à les faire fuir. Enfin, je crois que c'était Néron ou Caligula qui disait "Qu'ils me haissent pourvu qu'ils me craignent". Eh bien c'est un peu ma devise. Et l'un ne va pas sans l'autre: on n'aime jamais ce qu'on craind.

- Ne t'excuse pas. Tu as le droit d'avoir ton point de vue.

C'est d'ailleurs assez agréable d'avoir quelqu'un qui me fait part de ses impressions sans dénigrer les miennes. Ou sans me regarder comme une tarée. Absorbé par sa contemplation du lac, il me donne l'impression d'être à la fois ici et là-bas, proche et distant. Je suis son regard. Le pâle soleil de novembre fait jouer ses rayons sur l'eau du lac. Tout a l'air calme. Qui croirait à toute la vie qui se cache sous la surface de l'eau légèrement effleurée par la brise?

- Surtout que sur le principe, un peu de violence gratuite ne me derrange pas. Je ne suis pas batteuse pour rien, et l'infirmerie sert à ça aussi. Bon après de là à dire que j'aime les massacres, peut-être pas... Mais on a le droit d'être différent. Ceci dit, le problème reste le même. Plus on en parle, moins il y a de surprise... pour les deux équipes comme pour le public. Et venir voir un match avec des certitudes, ça perd toute sa poésie... Comme lire la fin d'un livre avant le début.

Si tu cherches le monstre, tu trouves le monstre. C'est une des rares choses dont je suis certaine. Peu importe la situation. Tout le monde recèle du "bon" et du "mauvais" et au final, on trouve ce que l'on cherche. Si on va au match en s'attendant à voir du massacre, on verra du massacre. Je finnis par me dire que je suis la seule à venir les voir jouer et voler... Enfin, je ne vais pas m'apesantir sur le sujet. Puis, je me rapelle de sa réponse à ma première question.

- Oui, implicite! Ca doit être ça... Pour être honête, métamorphose, sortilèges ou autres... moi ce qui m'interresse c'est surtout maitriser le prinicipe. Pour le moment, ça m'échape totalement. Si je murmure, ça marche, dès que je me tais... chou blanc. Je teste sur la métamorphose parce que je ne suis pas mauvaise, mais si tu es prêt à me donner un coup de main, les sortilèges feront très bien l'affaire.

-D'accord, alors va pour les sortilèges, je ne suis pas trop adepte de la métamorphose. On fait ça quand?

Je n'en reviens pas, moi, qui propose des cours, on aura tout vu. D'ordinaire, je m'occupe de moi et du clan, de personne d'autre, jamais. Et qui ose essayer de pénétrer dans mon monde s'en mord les doigts amèrement. J'ai les moyens de garder mon jardin secret intact. Personne ne résiste à certains moyens de pression. Mais je me prends à aider Erin, qui ne fait pas partie du clan, qui est une gryffondor et qui en plus est une adversaire de quidditch. Comme quoi, on ne choisit pas. Mais je ne suis pas du genre à me poser des cas de conscience, je ne choisis pas d'éloigner les gens de moi, c'est automatique, je le fais sans y penser. Et je ne choisis pas non plus de les accepter, ça se décide tout seul. Bon, je crois, parce que je n'ai pas de moyen de comparaison: Erin est la seule avec laquelle je discute. Les autres, même s'ils sont de serpentard, je ne m'approche pas, et ils n'ont pas intérêt à m'envahir.
Le lac, l'herbe et la tranquilité des lieux, je me sens heureux, l'une des rares fois de ma vie où je suis tout simplement bien, sans tension. Je baisse les armes inconsciemment quand je suis avec Erin. Si j'étais du genre à me poser des questions sur moi et mon fonctionnement interne, je passerais sûrement des heures à essayer de me l'expliquer.

- Ca fait du bien d'être là.

Je ne développe pas, j'en suis incapable. Mais ce que je voudrais dire, c'est que c'est incroyable, que je suis heureux, que c'est rare et que c'est sûrement grâce à sa présence. Mais bref, ça reste une phrase, sûrement bien anodine pour une fille habituée à l'être, heureuse...

- Bah si ça te va, on peut faire ça après dinner dans la semaine. Je suis plus concentrée le ventre plein. Et on sera plus tranquille. Ou entre deux cours dès qu'on a une heure de libre si tu préfères.

Cette perspective me plait beaucoup. Les sortilèges implicites... c'est un peu un rêve de gamine.

Je m'étirre, les bras sur le point de toucher le ciel et ferme les yeux. C'est vrai qu'on est bien ici. Je trouve toujours une façon d'être heureuse la où je suis, mais le fait qu'il en fasse la réflection me pousse à ouvrir tous mes sens. Le vent qui vient me lécher doucement le visage. Les cris des oiseaux, tout juste plus fort que la clameur qui s'élève de l'école au moment de l'interclasse. Le bruit du vent dans les feuilles au loin, sur l'eau devant. Sa présence, à quelques pas de moi. Quand j'ouvre les yeux c'est un kaléidoscope de couleurs. Je souris un peu euphoriquement au lac. A tout ce qui m'entoure. Une impression d'équillibre, voilà ce que j'ai. Une impression d'équilibre, d'équillibre parfait. Un soupire m'échape. Je me lève et avance jusqu'à sa hauteur. Une douce plénitude. C'est ça.

- Oui. C'est le genre de moment qu'on aime partager avec un ami.

Les mots sont sortis comme ils venaient. Tellement vrais. A peine chuchottés pour ne pas rompre l'équilibre de l'instant. L'espace d'une seconde, j'imagine le tableau que l'on doit former. Tous le deux. Debouts, côte à côte, face au lac. Cette image me plait et fait battre mon coeur un peu plus vite.

-Le soir, ça me va, marché conclu!

Et je me prends à regarder le lac qui se reflète dans les yeux d'Erin. On dirait un tableau impressionniste: deux personnages debout face à une étendue dont la couleur est de moins en moins définie, entre le bleu, le vert et la lumière du scintillement. Le vent fait du lac une succession de petits points qui ensorcellent les esprits. Pour un peu, je me laisserais entraîner au fond du lac pour vivre ce moment d'éternel bonheur. Tout serait bien plus simple. Mais est-ce que tout n'est déjà pas simple? Malheureusement, c'est bien ça, le problème. J'ai passé ma vie à accentuer les contrastes pour ne plus voir qu'en noir et blanc, simplissime à l'extrême. Mais si je m'étais trompé? Et que le blanc n'était que couleurs, et le noir pas vraiment noir? Des amis? Oui, c'est bien ce qu'il semble que nous soyions... Mais est-ce seulement encore possible? N'est-ce pas trop tard... Mon univers de noir et blanc n'accepte pas les demi-mesures...
Je ne suis pas cinglé, c'est juste d'un point de vue extérieur que je semble fou. Moi, je sais toujours ce que je fais et pourquoi je le fais. Mais là, je perds pied, et c'est dangereux, dangereux pour moi. Je sais bien que je suis ce qu'on appelle "border line", pas fou, pas sain d'esprit tout à fait. Il vaut mieux que tout reste clair dans mon esprit, et là je m'embrouille. Mes seuls amis, ce sont les membres du clan. C'est comme ça. Quelque chose me gêne dans cette explication, mais il ne faut pas que ça me gêne. Tout doit rester noir et blanc, même si c'est dur.
Je recule:

-Il faut que j'y aille.

Demi tour et direct au château. Je ne cours pas, je vole. Et même si je me bouche les yeux, je sais bien ce que je fuis...

hj: ce n'est pas contre erin, c'est juste que c'est dur, pour snake, de changer de façon de penser. Et puis ça donne du peps à l'histoire! tu es ok?

Snake a à peine le temps de finir sa phrase que déjà, il est loin. C'est tellement soudain que je ne sais pas trop à quoi m'en tenir.

Une partie de moi rit. Il a l'art et la manière de faire ses entrées et sorties. Elles ne passent jamais inaperçues! Mais l'autre se sent étrangement mal à l'aise. En aurais-je trop dit? Suis-je allée trop loin? J'aurais peut-être du tenir ma langue pour une fois... Non. Hors de question. Je ne regrette pas ce que j'ai dit. Je le pensais. Je suis juste désolée de l'avoir fait fuir. Et si ça se trouve, il a avait vraiment quelque chose à faire... Là je crois que je m'avance un peu trop.

J'ai envie de tout sauf de retourner en cours. Je m'asseoie dans l'herbe, le menton dans mes mains.

- Bon. Je fais quoi maintenant? Je ne peux pas honêtement rester là, les fesses dans l'herbe jusqu'à la fin de la journée... C'est pas que je ne tient pas à repiquer cette année jusqu'à la fin des temps, mais c'est tout comme. Et puis, au bout du compte, ça aurait pu être pire. Erin Scott ressaisit toi bon sang de bois!

Je bondis littéralement dans les airs après une pirouette pour m'assurer que personne n'a été témoin de mon monologue. C'est vrai, les choses auraient pu être pires. Il est juste parti. Il n'a pas nié ce que j'ai dit. Bon, ok, il n'a pas confirmé non plus. On verra. Comme on dit, il ne faut pas vendre la peau du dragon avant de l'avoir tué. Allez, je retourne en cours. Ca me changera les idées...

hj: je suis totalement d'accord avec toi. Ca serait domage, et pas (d'après moi) crédible par rapport à la personalité de Snake que ca se passe trop rapidement. Ce que je veux dire c'est qu'il me fait l'effet d'être trop tourmenté pour "changer" du jour au lendemain.